Exploitation pétrolière au Niger, comment en optimiser les retombées ?

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RaffineriePrésentation

Le 28 novembre 2011 a été inaugurée à Zinder la première raffinerie du Niger. Cette raffinerie est exploitée par la Société de Raffinage de Zinder (SORAZ) qui est une coentreprise entre la China National Petroleum Company (CNPC), pour 60% du capital ; et l’Etat du Niger pour 40% des parts.

Cette raffinerie va traiter le brut extrait de certains gisements du champ d’Agadem dont l’exploitation a été confiée par l’Etat Nigérien à la CNPC et où il a été prouvé l’existence de réserves s’élevant à 483,3 millions de barils. Elle  inaugure à n’en point douter une nouvelle ère pour le Niger puisque le pays devient du même coup producteur de pétrole. L’annonce du lancement de la SORAZ est aussi l’occasion d’une controverse de la part de certains nigériens, notamment autour des prix des produits raffinés vendus à la pompe qui ont été annoncé par le ministre de l’énergie et du pétrole, M. Foumakoye Gado dans une conférence de presse le 16 novembre 2011.

En effet une partie de l’opinion s’est estimée déçue par les prix jugés élevés des produits raffinés. Le ministre de l’énergie et du pétrole a lui-même confirmé ce mécontentement en affirmant savoir que « le rêve des Nigériens d’avoir du carburant moins cher ne s’est pas encore réalisé1. »

Dans ce contexte nous souhaitons apporter notre contribution à ce débat qui intéresse tous les citoyens nigériens. Nous souhaitons prendre du recul pour décortiquer les chiffres qui ont été annoncés officiellement et ce depuis le lancement du projet d’Agadem en 2008 jusqu’au lancement de la raffinerie de Zinder, afin de pouvoir apprécier objectivement l’impact probable de l’activité pétrolière sur le pays.

Ainsi dans un premier temps, nous souhaitons confronter les attendus du projet lors de son lancement en 2008 avec les réalisations atteintes à l’inauguration de la raffinerie, ceci au regard de la production, des coûts et des objectifs de la politique énergétique. Dans une deuxième partie nous allons comparer le projet pétrolier nigérien avec les standards internationaux, notamment la structure des coûts de la raffinerie. Enfin en troisième lieu, à  l’issue de cet éclairage technique et économique, nous formulerons une analyse critique des différentes données, notamment les prix. Nous dégagerons alors des pistes de réflexion et des propositions pour optimiser les retombées de l’exploitation pétrolière et pour l’Etat et pour les consommateurs  nigériens.

 

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      I.   Agadem, de la prospection à l’exploitation : objectifs originels et résultats atteints

1.    Vertus de l’exploitation pétrolière

Lorsque la Convention de Partage de Production (CPP) du champ pétrolier d’Agadem a été signée en juin 2008 entre le gouvernement du Niger et la CNPC, nous lui avons tout de suite trouvé des vertus tout en soulignant les points qu’il nous semblait important d’éclaircir ou de surveiller lors de l’exécution du projet. Nous l’avons écrit en novembre 2009 dans notre dossier consacré à la politique énergétique du Niger2.

Nous le réaffirmons aujourd’hui. Malgré la déception d’une partie des nigériens, l’exploitation du pétrole dans ce pays est une bonne chose. Elle va en effet permettre au pays de progresser sur au moins deux axes stratégiques qui devraient guider sa politique énergétique comme nous l’avions identifié dans notre dossier de bilan énergétique : l’indépendance énergétique et la sauvegarde de l’environnement3.

 

a.      L’indépendance énergétique

En produisant et raffinant sur son sol une quantité de pétrole (20 000 barils par jour) supérieure à sa propre consommation (7 000 barils par jour) ; et en commercialisant ce pétrole sur son territoire, le pays s’affranchit du poids de l’importation de cette ressource et réduit ainsi sa dépendance énergétique vis-à-vis de l’étranger. Par la même occasion il allège sa balance des paiements et épargne donc des devises.

 

b.     La sauvegarde de l’environnement

La SORAZ devrait produire annuellement 44 200 tonnes de GPL (gaz de pétrole liquéfié), c’est-à-dire essentiellement du butane et du propane, des produits qui peuvent être utilisés comme source d’énergie domestique pour la chauffe. À ce titre ils pourraient remplacer le bois jusque-là source majeure voire unique de la consommation énergétique des ménages. Le niveau de production de GPL de la SORAZ est à comparer aux 3000 tonnes4 de gaz que représente la consommation nationale aujourd’hui. C’est surtout l’équivalent de 130 000 t de bois chaque année ; cela représente 65% de la consommation annuelle de bois (200 000 t4), soit entre 65 000 et 100 000 ha de bois sauvé chaque année, si bien sûr le GPL est utilisé comme substitut du bois dans les ménages. Cette alternative appelle une politique solide de vulgarisation de cette source d’énergie auprès des ménages nigériens. Ce à quoi le ministre de l’énergie et du pétrole a dit s’atteler en promettant que « des réflexions sont en cours sur un vaste projet de promotion de l’utilisation du gaz domestique. » 1

La possibilité de substituer le gaz au bois offre également une formidable opportunité de lancer une véritable politique de reboisement pour d’une part, récupérer les sols jusque-là mis à découvert par la coupe du bois-énergie, et d’autre part afin d’équilibrer une partie des émissions de CO2 que génèrerait l’usage du gaz, car la photosynthèse permet aux arbres de consommer du CO2.

 

2.    La mauvaise surprise des surcoûts

Malgré ces deux vertus essentielles, force est de constater que l’espoir suscité de voir l’accès à l’énergie renforcé par une politique des prix incitatrice a été fraichement douché par l’annonce par le ministre de l’énergie et  du pétrole des prix des produits raffinés par la SORAZ. Nous consacrons la troisième partie de cette discussion à la recherche d’un niveau de prix optimal. Auparavant nous souhaitons analyser l’un des éléments de la formation de ces prix : les investissements.

 

a.      Une répartition capitalistique déséquilibrée

Commençons par rappeler les principaux éléments contenus dans la convention de partage de production qui est en vigueur entre l’Etat du Niger et la CNPC ainsi que les répartitions capitalistiques correspondantes.

 



Part CNPC

Part Etat

Recherche et exploration

100%

0%

Forages + Infrastructures de surface

100%

0%

Pipeline Agadem-Zinder

100%

0%

Raffinerie de la SORAZ

60%

40%

Tableau 1 : Répartition des participations capitalistiques

 

 Le tableau précédent montre que l’Etat nigérien n’a aucune participation capitalistique dans tous les volets du projet sauf dans la raffinerie de Zinder à hauteur de 40%.

Conformément au code pétrolier du Niger de 2007 (articles 65, 108 et 120 notamment)5, un contrat de partage de production signé doit fixer les parts de la production qui reviennent respectivement au contractant (CNPC) et l’Etat du Niger. Nous reprenons ci-dessous les articles 65 et 120 dudit code pétrolier.

« Art. 65 :

A l’attribution du permis d’exploitation ou de l’autorisation exclusive d’exploitation, l’Etat ou l’organisme public a le droit d’exiger du titulaire que celui-ci lui cède un pourcentage pouvant aller jusqu’à 20% des droits et obligations attachés au permis ou à l’autorisation. »

« Art. 120 :

Le taux du cost stop, tel que défini à l’article 108 ci-dessus ne peut pas excéder 70%. Le taux du tax oil, tel que défini au même article ne peut être inférieur à 40% et varie en fonction d’un ratio représentant la rentabilité de l’exploitation. Les modalités de calcul de ce ratio sont précisées dans le contrat pétrolier. »

Par rapport à l'article 65, les informations dont nous disposons indiquent qu’il n’y a pas de prise de capital de l'Etat nigérien dans l'amont.

Pour l'article 120, le « tax oil » est la part qui revient à l'Etat après déduction du « cost oil » (rémunération en nature de l'exploitant incluant le « cost stop » qui est le coût d’amortissement des investissements majoré des frais d’exploitation ; le « cost stop » peut atteindre 70% de la valeur totale de l’amont). Le « tax oil » ne peut être inférieur à 40% (d'un solde qui peut au minimum donc être à 30%), soit un niveau minimal de 0,4*0,3= 12%.

Cela signifie que conformément au code minier, l'Etat du Niger a droit au minimum à 12% de la production. Nous ne disposons pas d’informations sur la part de la production qui revient effectivement au Niger, conformément au contrat qui a été signé en définitive avec la CNPC.

La convention signée en 2008 stipule néanmoins que l’exploitant lui versera 12,5% du chiffre d’affaires réalisé dans l’amont du cycle sous forme de redevances ou de royalties (redevance « ad valorem »)6.

Cette remarque est importante et nous y reviendrons dans la troisième partie consacrée à la  discussion sur les retombées de l’exploitation pétrolière et la recherche d’un prix optimal pour le consommateur.

 

b.      Des investissements en dépassement de budget

Comparons maintenant les investissements prévus en 2008 avec les niveaux qu’ils ont atteints lors de la réalisation jusqu’en 2011, et ce sur les différents volets du projet.


Montant des investissements en millions $

 

Réalisé 2011

Annoncé 2008

Dépassement

Recherche et exploration

305

300

NON

Forages + Infrastructures de surface

1138*

1100 à 1200

NON

Pipeline

350

300 à 400

NON

Raffinerie

980

600

OUI

TOTAL

2773

2300 à 2500

OUI





* dont Infrastructures de surface : 581 et Forages : 557



Tableau 2 : Montant des investissements prévus en 2008 et réalisés en 2011, en millions $

 

Le tableau précédent montre que pour l’ensemble des volets du projet, le montant réellement investi jusqu’en 2011 reste globalement dans la cible des niveaux prévus en 2008, à l’exception notable de la raffinerie de la SORAZ qui enregistre un surcoût de plus de 63%.

On constate que sur tous les postes d’investissement seule la partie où le Niger dispose de participation capitalistique connaît un surcoût par rapport aux prévisions initiales. Comme l’a indiqué le ministre dans sa conférence de presse, ce surcoût aurait même pu être de 100% puisque la CNPC aurait présenté une facture finale de 1200 millions $. Le ministre mentionne ainsi que « nous avons diligenté un premier audit indépendant, mais les conclusions se sont révélées décevantes. En effet, la CNPC avait estimé ces coûts à 600 millions de dollars avant de revenir pour dire qu’elle s’est trompée et que ces coûts sont plutôt de 1,2 milliard de dollars. Nous n’avons pas accepté cela et c’est après un arbitrage que nous avons accepté les 980 millions de dollars. Nous partons sur cette base, mais nous allons diligenter une seconde expertise indépendante ». 1

Sur ce sujet, on aurait aimé entendre la justification de ce surcoût par les Chinois, d’autant que l’Etat du Niger doit régler 40% de la note, avec un crédit auprès de la Chine, nous apprend-on. On apprend dans un article de presse7 que ce surcoût serait lié à des « difficultés physiques imprévues » et d’un « accès difficile à l’eau ». Autant la difficulté de  l’accès à l’eau est réelle dans la région de Zinder et  est connue depuis les années 50 (donc  le projet initial de la CNPC  devait naturellement en tenir compte) ; mais quelles difficultés physiques réelles se présenteraient à Zinder sans qu’elles ne se retrouvent au moins en partie sur un site encore plus éloigné tel que celui du champ d’Agadem où rappelons-le aucun des volets du projet n’a été en dépassement de budget et où le Niger n’a aucune part capitalistique ?

En plus de la justification sérieuse attendue de la part de la CNPC, on attend impatiemment les conclusions du nouvel audit annoncé par le ministre de l’énergie et du pétrole. D’autant plus qu’une enquête du PNUD aurait déjà conclu que le surcoût de la raffinerie de Zinder ne serait pas justifié. On apprend également que la CNPC a imposé le même scénario au Tchad voisin7.

Cependant, on sait qu’il n’est pas exceptionnel dans le monde qu’un projet coûte plus cher à sa réalisation que ce qu’il était prévu à sa conception. Cela a été par exemple le cas du projet de la gigantesque raffinerie de Jubaïl, en Arabie-Saoudite, qui aurait vu son coût doubler selon la presse économique8. C’est pourquoi il est également intéressant de prendre du recul et comparer la structure des coûts de la SORAZ avec ce qui se fait ailleurs afin de mieux apprécier l’investissement que l’Etat du Niger vient de consentir.

 

      II.   Structure de coûts de la raffinerie, comparaison internationale

1.    La SORAZ  et le classement des raffineries par complexité

a.      Le raffinage du pétrole, un processus technique précis

Avant d’aller plus loin, faisons un rapide point technique sur les étapes du raffinage de pétrole pour que cette partie soit le plus compréhensible possible pour l’ensemble des lecteurs. Le rôle du raffinage est de transformer du pétrole brut non utilisable directement en plusieurs produits finis plus ou moins lourds, selon les besoins. Pour cela la première étape consiste à séparer le plus possible les différents produits contenus dans le brut, par distillation, en mettant à profit le fait que les différents constituants du pétrole bruts ont des températures d’ébullition différentes. A l’issue de cette étape, il reste des produits lourds qui peuvent être convertis si besoin dans une autre étape du processus. Des étapes supplémentaires sont parfois nécessaires pour obtenir les produits finis voulus. Le lecteur non spécialiste qui souhaite approfondir l’aspect technique du raffinage dispose de plusieurs sources pour se documenter9.

 

b.     Raffinerie de la SORAZ : installations techniques et produits finis

Revenons au cas de la SORAZ. Lors de la conférence de presse du ministre de l’énergie et du pétrole et lorsqu’il a dû indiquer la fiche signalétique de la raffinerie de la SORAZ, on a pu noter que cette raffinerie produit uniquement de l’essence, du gasoil et du GPL et aucun produit lourd (fioul ; goudron, etc.).  Le tableau suivant résume la fiche signalétique de la raffinerie.


Valeur (t/an)

Valeur (baril/an)

Part

Capacité annuelle de traitement

          1 000 000  

          7 300 000  

100%




 

Production annuelle de produits finis

Valeur (t/an)

Valeur (baril/an)

Part

Essence

             306 200  

          2 388 400  

35,78%

Gasoil

             505 400  

          3 689 400  

59,06%

GPL

                44 200  

 -

5,16%

TOTAL

             855 800  

 -

100%

Tableau 3 : capacités de traitement et de production de la SORAZ

 

Bien que nous ne connaissions pas la constitution technique à l’heure actuelle (unités de traitement installées) de la raffinerie de la SORAZ, on peut conjecturer, sachant la qualité annoncée du brut nigérien (brut léger et doux), les normes en vigueur sur la qualité des produits raffinés (par exemple indice d’octane de 91 pour l’essence) et enfin au vu de la répartition des produits finis annoncés, que la SORAZ est une raffinerie simple sans conversion, ou -pour être pénalisant pour notre argumentation- une raffinerie disposant d’une unité de conversion simple. Il faut garder à l’esprit que les unités de conversion (installations qui permettent de transformer les produits lourds en produits légers) renchérissent le coût global de l’investissement à réaliser.

 

2.    La SORAZ et les coûts standards dans les raffineries

a.      Coûts d’investissement moyens des raffineries dans le monde

Cette hypothèse en tête, voici à présent les coûts d’investissement (CAPEX) des différents types de raffineries, relevés dans le tome 5 de l’encyclopédie consacrée au raffinage du pétrole et dirigée par Jean-Pierre Favennec , éminent spécialiste français de l’énergie10.

 Comparaison investissement selon capacité de traitement raffinerie

 Tableau 4 : Investissement selon la complexité de la raffinerie (en millions de $)

 

Ce tableau montre qu’une tonne de capacité de traitement installée pour une raffinerie de la complexité supposée de la SORAZ revenait entre 116 et 184 $ en 1998 (parution de l’encyclopédie). Soit entre 116 millions et 184 millions de dollars de coût total si la SORAZ avait été construite en 1998. On sait qu’entre 1998 et 2011, les matières premières sont devenues plus chères ; néanmoins on peut raisonnablement estimer que le coût initialement annoncé par la CNPC de 600 millions de dollars pouvait être acceptable, en tenant compte de plus de l’éloignement du site de construction de la mer.

 

b.      Coûts d’exploitation standard des raffineries dans le monde

Une fois construite la raffinerie doit supporter des coûts d’exploitation (OPEX). Ceux-ci sont annoncés à 42,14 $ par baril à la SORAZ11. Il est ici aussi remarquable de noter que ces montants s’écartent notablement des niveaux pratiqués dans les raffineries du monde entier comme le souligne le tableau suivant, tiré de la même encyclopédie que le précédent10.

 Comparaison coûts exploitation selon capacité de traitement raffinerie

Tableau 5 : Coût du raffinage en $/t

 

Le tableau précédent situait le coût unitaire du raffinage (hors investissement) pour une raffinerie de la complexité supposée de la SORAZ entre 17,3 et 23,7 dollars la tonne, soit entre 2,37 et 3,25 dollars le baril (1 tonne équivaut à environ 7,3 barils pour le brut d’Agadem) en 1998. Ce coût doit certes être actualisé au regard notamment de l’inflation entre 1998 et 2011. Mais on peut douter que cela conduise aux coûts annoncés aujourd’hui pour la SORAZ. Cela n’a d’ailleurs pas échappé au ministre de l’énergie et du pétrole qui affirme que « à titre indicatif, dans des raffineries similaires, le coût de raffinage du baril se situe dans une fourchette de 15 $US à 25 $US »11.

 

c.      L’aval de la SORAZ et autres coûts de la filière pétrolière

Une fois le pétrole raffiné à la SORAZ, un accord de commercialisation entre la SORAZ et la SONIDEP confie à cette dernière société la commercialisation des produits finis. Le baril produit à la SORAZ subit donc les marges de cette filière de distribution dont 36,85% de taxes (15% assis prix de cession de la SORAZ au titre de la taxe sur les produits pétroliers (TPP) et 19% au titre de la TVA assise sur la somme du prix de cession de la SORAZ et de la TPP) avant d’arriver dans le réservoir du consommateur nigérien. C’est précisément au niveau des prix à la pompe que le mécontentement d’une partie de l’opinion nigérienne semble se concentrer.

Nous allons donc à présent lancer la discussion sur les éléments qui ont conduit à l’établissement de ces prix.

 

      III.   Discussion sur un prix optimal des produits vendus à la pompe

1.    Des prix de vente à la pompe des produits raffinés jugés trop élevés

Avant d’analyser la constitution des prix, rappelons les prix qui ont été annoncés par le ministre de l’énergie et du pétrole, en les mettant en perspective avec les prix pratiqués à la pompe aujourd’hui, car, en dernier ressort, ce sont bien les prix à la pompe qui intéressent le consommateur nigérien.


Produit

Unité

Prix avant SORAZ (FCFA)

Prix après SORAZ (FCFA)

Variation

Essence

1 l

679

570

-16,1%

Gasoil

1 l

655

577

-11,9%

GPL

12 kg

 5500

3700

-32,7% 

Tableau 6 : Comparaison entre les prix à la pompe avant et après la SORAZ

 

Le tableau précédent montre que les prix à la pompe vont baisser grâce à la mise en production de la SORAZ. Cependant l’ampleur de la baisse - 11,9% pour le gasoil et 16,1% pour l’essence - paraît trop faible pour un pays tel que le Niger. En effet ce pays était jusque-là un importateur de presque tout ; sa population subit aujourd’hui une perte de pouvoir d’achat non négligeable compte tenu de la vie chère aisément constatable. Voilà qu’il se met à produire du pétrole ; et il n’est même pas en mesure de faire profiter réellement sa population de ce que l’on appelle à tort « manne pétrolière ».

 

2.    Les sources du renchérissement des prix à la pompe

A ces prix jugés trop élevés nous voyons 3 explications.

 

a.      Le prix de cession du brut

Le ministre de l’énergie et du pétrole a indiqué que la convention d’approvisionnement signée entre la CNPC et la SORAZ fixe le prix du baril à 67 $. Il indique que ce prix a été obtenu après des négociations difficiles.

Nous avons tenté d’évaluer différents scénarios de prix de cession du brut à la SORAZ par la CNPC et nous avons calculé les délais de retour sur investissement que chacun des scénarios induirait, en tenant compte d’une part des frais d’opération de 10 $ par baril (avec un taux annuel d’actualisation de 2,5%) annoncés par le ministre de l’énergie et du pétrole, et d’autre part, de la redevance de 12,5% due par la CNPC à l’Etat du Niger sur la partie amont (donc y compris le pipeline entre Agadem et Zinder).

Dans notre exercice, nous avons considéré exclusivement les chiffres officiels. Nous les résumons dans le tableau qui suit1, 6, 11.

 


Frais d'exploitation ($/baril)

10

Taux annuel d'actualisation des frais d’exploitation

2,50%

Montant des investissements hors raffinerie SORAZ (en millions de dollars)

 1 793  

Production de pétrole (barils par jour)

 20 000  

Taux des redevances ou royalties dues à l'Etat Nigérien

12,5%

Tableau 7 : Données économiques de base de l'amont pétrolier sur le projet d’Agadem

 

L’exercice consiste donc à partir de ces données de base, de calculer le délai de retour sur investissement pour la CNPC, en fonction des hypothèses de prix de cessions. Les résultats de cet exercice sont frappants et sont illustrés par le graphique qui suit.

Graphique rentabilité AGADEM

Figure 1 : Délai de retour sur investissement selon le prix de cession du baril entre CNPC et SORAZ

 

On envisage une durée de vie de 20 ans pour les gisements actuellement exploités par la CNPC sur le champ d’Agadem (les gisements de Gouméri, Sokor et Agadi), durée qui semble être celle qui a été retenue d’après la conférence de presse du ministre de l’énergie et du pétrole. Ce graphique montre que même à 30 $ le baril, le projet est rentable pour la CNPC sur une durée de 18 ans.

Le prix de 67 $ le baril annoncé par le ministre de l’énergie et du pétrole conduit lui à un délai de retour sur investissement de 5 ans. Autrement dit, dans 5 ans, l’investissement initial sera entièrement remboursé et tout ce qui ira à la CNPC, sera du bénéfice net.

Cette durée nous semble très courte et c’est cela qui explique en grande partie la cherté du produit vendu aux consommateurs nigériens à la pompe.

Il nous semble que le Niger est considéré par la Chine comme un pays vierge et prometteur du point de vue de ses ressources pétrolières. Il est donc raisonnable que l’analyse financière de ce premier projet d’investissement qu’est Agadem, soit inscrite dans le cadre d’un partenariat stratégique de  long terme au lieu d’être enfermé dans une logique de rentabilité quasi-immédiate.

De ce point de vue, nous estimons que le Niger et la Chine peuvent convenir de baser les calculs de rentabilité d’Agadem sur une période de 10 ans. Cela conduirait comme le montre notre graphique à un prix de cession du baril entre la CNPC et la SORAZ de 40 $.

Sur la base de cette hypothèse, en maintenant inchangées les marges absolues actuelles des secteurs du raffinage (SORAZ) et (SONIDEP), cela représenterait une économie 27 $ sur chaque baril cédé à la SORAZ, soit une baisse de 82 FCFA sur chaque litre de produit raffiné vendu au consommateur nigérien.

Soit donc sur cette base un prix de 488 FCFA le litre pour l’essence et 495 FCFA le litre pour le gasoil. Cela représenterait des baisses de 28,1% pour l’essence et 24,4% pour le gasoil par rapport aux prix pratiqués avant la mise en production de la SORAZ. Ces niveaux de baisse soulageraient certainement plus le consommateur nigérien et auraient en outre la vertu de réduire l’ampleur de la fraude sur les carburants alimentée en partie par des niveaux de prix trop élevés.

 

b.      L’éclatement des acteurs de la chaîne de valeur

Cinq acteurs interviennent dans la filière pétrolière nigérienne :

  • L’Etat du Niger qui touche directement 12,5% de la valeur brute de la production d’Agadem, conformément à la convention de partage de production signée en 2008 ;
  • La CNPC, entreprise chinoise qui exploite en exclusivité le champ d’Agadem ;
  • La SORAZ, coentreprise entre l’Etat du Niger et la CNPC, qui assure le raffinage sur le sol nigérien de 20000 barils par jours de pétrole brut issu du champ d’Agadem ;
  • La SONIDEP, société publique nigérienne chargée du stockage et de la distribution en gros des produits raffinés ;
  • Les distributeurs privés, qui sont les détaillants auprès desquels les consommateurs s’approvisionnent.

Cette segmentation de la chaîne de valeur du pétrole nigérien entre plusieurs acteurs contribue en partie à la constitution haussière des prix des produits raffinés vendu au consommateur.

De plus selon le niveau de la production de la SORAZ qui est consommée sur le territoire national (7000 barils sur une capacité de raffinage de 20000 barils par jour sont actuellement consommés quotidiennement  au Niger), l’amont de la filière représente entre 42% et 68% de la valeur brute de la filière. Or le Niger ne dispose d’aucune participation dans le capital de cette partie, hormis le taux des redevances de 12,5% sur la valeur du brut. Cela signifie que pour une valeur globale de la filière pétrolière,  l’Etat du Niger gagne moins d’argent à mesure que la part relative de l’amont dans la valeur totale de la filière augmente.

Ces remarques permettent de dégager deux pistes d’optimisation. Premièrement l’Etat du Niger devrait chercher à accroître sa présence dans l’amont du cycle (exploration et production) dans le présent projet et dans tout projet d’exploitation pétrolière future. De même il doit veiller dans les négociations avec ses partenaires à déplacer la valeur vers les activités où sa participation capitalistique est relativement plus forte ; dans le cas du pétrole d’Agadem il s’agit de la raffinerie de la SORAZ où il dispose de 40% du capital et dans la filière de distribution, qu’il gère entièrement grâce à la SONIDEP.

La seconde piste consiste à regrouper sous une même entité un maximum de participations. Par exemple SONIDEP aurait dû être l’unique entité juridique représentant l’Etat Nigérien dans le secteur pétrolier même si cela supposait une réorganisation de cette entreprise publique pour la préparer à ces nouvelles missions. Cela aurait probablement conduit à une synergie plus forte entre les acteurs étatiques et une réduction des coûts globaux.

 

c.     Des charges élevées

Comme nous l’avons mentionné dans la première partie de cette étude, le coût initialement prévu pour la raffinerie de Zinder était de 600 millions de $, bien qu’elle ait finalement coûté 980 millions de $. Le Niger disposant de 40% du capital de la SORAZ il devait régler 240 millions de $ initialement et doit donc aujourd’hui régler une ardoise de 392 millions de $.

Le ministre de l’énergie et du pétrole annoncé que le Niger comptait régler sa part en contractant un emprunt auprès d’une banque chinoise à un taux initial égal au LIBOR + 3,5%. Le LIBOR signifie « London InterBank Offered Rate ». C’est le taux moyen auquel les banques se prêtent de l’argent entre elles sur la place financière de Londres. Il est fixé chaque jour ; son taux dépend de la devise choisie et aussi de l’échéance du prêt. Par exemple pour le dollar américain, et pour une échéance de 12 mois, il valait 1,06517 % le 2 décembre 201112.

Cela signifie que le taux annuel initial du crédit contracté par le Niger était au moins de 4,5%. Après des négociations « pas faciles » selon le ministre de l’énergie et du pétrole, ce taux a été ramené à un niveau égal au LIBOR + 3,04%.

À la lumière de toutes ces péripéties pour financer sa part de capital, on se souvient qu’en 2008 lors de la signature du contrat pétrolier, le gouvernement de l’époque avait annoncé un « bonus de signature » d’un montant de 300 millions de $, soit l’équivalent de 127 milliards de FCFA à l’époque6.

Aujourd’hui nous posons de nouveau une question que nous avions posée à l’époque de la signature du contrat : à quoi correspond exactement ce « bonus » ? On est aussi en droit de se demander, si cela correspond à un décaissement « gratuit » de la CNPC au profit du gouvernement Nigérien, comme pour le remercier de lui avoir accordé le marché d’Agadem, alors pourquoi ce « bonus gratuit » n’a-t-il pas servi à payer la part de l’Etat du Niger dans le capital de la SORAZ ? L’Etat ne serait pas retrouvé dans la situation d’aller emprunter de l’argent qui plus est chez le coactionnaire du projet. En tout état de cause nous estimons que les citoyens nigériens ont le droit de savoir de quelle façon ce « bonus » a été dépensé puisque tout indique qu’il n’a pas servi à porter la part de l’investissement qui revient au Niger dans le projet pétrolier. Sur ce sujet aussi un audit devient nécessaire afin de lever ces doutes fondés.

Par ailleurs on apprend dans la conférence de presse du ministre de l’énergie et du pétrole que la SORAZ avait une masse salariale de 42 millions de $ ; qu’il a fallu conduire des négociations qui auraient permis de ramener cette masse salariale à 26 millions de $1. Il faut recouper cette information avec une autre donnée qui est le nombre d’employés de la SORAZ qui sont au nombre de 37713.

Il est alors aisé de calculer le salaire mensuel par employé, en prenant un chiffre plus pénalisant de 400 employés comme le montre le tableau qui suit.



Avant négociation

Après négociation

Charges salariales annuelles, en millions de $

42

26

Salaire mensuel par employé, en FCFA

4 268 023*

2 642 109*

* Le cours du dollar est pris à sa valeur du 4/12/2011, soit 487,774 FCFA pour un dollar

Tableau 8 : Charges salariales de la SORAZ

 

Le salaire moyen à la SORAZ était donc de 4,2 million de FCFA par mois et par employé avant les négociations et aujourd’hui il serait de 2,6 million par mois et par employé après les négociations. Cela semble peu vraisemblable car nous connaissons l’exemple d’un ingénieur à qui il a été proposé un salaire mensuel de 140 000 FCFA lors des entretiens de recrutement. À moins que la masse salariale globale ne soit gonflée par quelques (très) gros salaires.

Tous ces aspects contribuent à surenchérir les charges auxquelles la SORAZ doit faire face et donc à renchérir le coût que doit supporter le consommateur nigérien à la pompe.

 

Conclusion

Bien que l’exploitation pétrolière soit une bonne chose car elle va permettre au pays de devenir indépendant dans sa consommation pétrolière et devrait permettre de lutter contre la désertification en réduisant la consommation de bois, cette activité nouvelle suscite la déception de certains nigériens ; elle soulève aussi des questions notamment sur l’optimisation des ressources qu’elle génère pour le Niger.

La présente étude nous a permis de dégager clairement au moins trois propositions de fond afin de faire profiter encore plus le consommateur et l’Etat de cette nouvelle activité :

  • Initier le plus rapidement possible un audit sur les investissements réalisés, particulièrement la Raffinerie de la SORAZ afin d’élucider la question du surcoût de 63,3 % engendré par ce volet du projet. Un audit est également justifié pour éclaircir le cheminement des différentes conventions signées depuis 2008, afin de lever le doute sur la destination de sommes importantes notamment les 300 millions de dollars de « bonus ».
  • Rouvrir les négociations avec la CNPC afin de convenir de placer le projet d’Agadem dans une perspective stratégique qui devrait relever le délai de retour sur investissement de 5 à 10 ans pour la CNPC ; ce qui aurait pour effet de rabaisser le prix de cession du baril à la SORAZ par la CNPC à 40 $, niveau qui permettrait de consentir un rabais supplémentaire au consommateur nigérien de 82 FCFA par rapport aux prix communiqués, et ce tout en conservant les marges de la SORAZ et de la SONIDEP.
  • Consolider les acteurs représentant l’Etat du Niger dans l’ensemble de la filière pétrolière en créant des synergies voire en regroupant la SONIDEP et la SORAZ. Ceci permettrait de réduire la segmentation de la chaîne de valeur de la filière pétrolière et permettrait de baisser encore plus les prix à la pompe.

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