La contractualisation de l’enseignement au Niger : quelles perspectives?

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Contexte

 

Vers la fin des années 90, pour pousser les pays africains très endettés à réduire leurs dépenses publiques, le Fonds Monétaire International(FMI) et la Banque Mondiale, ont contraint certains Etats africains dont le Niger à adopter un programme d’ajustement structurel, qui s’est traduit au Niger entre autres politiques, par l’élaboration d’une nouvelle stratégie de détermination de l’âge légal de départ à la retraite. Ainsi, il a été décidé, au Niger, que les fonctionnaires iraient à la retraite à l’âge de 55 ans contre 60 ans auparavant et dans tous les cas, après 30 ans de service. Cette politique a eu comme conséquence de réduire considérablement les ressources humaines du Ministère de l’Education Nationale, qui ont la spécificité de démarrer leur carrière très tôt et qui, par conséquent sont les plus touchés par la limite de 30 ans de service. Au même moment, il fallait relever le défi de scolarisation des populations nigériennes qui font partie des moins scolarisées au monde. L’équation est des plus complexes à résoudre et le gouvernement de l’époque a  eu l’idée de recruter des volontaires d’un certain niveau scolaire pour en faire des enseignants. C’est ainsi qu’est né le volontariat de l’éducation pour répondre à la demande pressante de scolarisation et satisfaire le besoin en enseignants.

Dès lors les jeunes nigériens titulaires du CFEN (Certificat de Fin d’Etudes Normales) et/ou du Baccalauréat ou du Brevet d’Etude du Premier Cycle (BEPC) pouvaient se faire recruter pour enseigner dans les écoles.

Ainsi après le départ massif à la retraite après 30 ans de service ou 55 ans d’âge instauré par le Feu Général Baré Mainassara, le Ministère de l’Education a trouvé une issue pour combler le vide. Ce phénomène a continué jusqu’en 2003-2004 avec le début de mise en œuvre du PDDE (Programme Décennal du Développement de l’Education) relatif aux OMD (Objectifs du Millénaire pour le Développement). C’est à cette période que le volontariat de l’éducation a été transformé en contrat de l’éducation qui exigeait aux enseignants volontaires de signer un contrat de deux ans renouvelable pour exercer ce qui est devenu leur métier. C’est l’ère de la « contractualisation » et des « contractuels» de l’Education Nationale. Le PDDE, qui ouvre cette nouvelle ère, est structuré autour de trois composantes : l’accès, la qualité et le développement institutionnel. Son objectif est l’universalisation d’un enseignement primaire de qualité et la réduction de moitié du taux d’analphabétisation à l’horizon 2015. Son outil de mise en œuvre est la contractualisation des enseignants.

Aujourd’hui, à l’approche de l’échéance 2015, il est opportun  de se demander si le PDDE est en train d’atteindre son objectif et si la contractualisation des enseignants a permis d’avoir les résultats escomptés.

Les constats

 

Concernant la contractualisation de l’enseignement au Niger, les constats suivants se dégagent :

Sur le plan quantitatif, en 2011, sur 42.562 enseignants craie en main, on dénombre 37.184 enseignants contractuels soit 78,18% des effectifs. Les enseignants titulaires (fonctionnaires), eux sont au nombre de 10.294 soit 21,64% et les enseignants communautaires et autre personnel des écoles sont au nombre de 84 soit 0,17% (source annuaire statistique de l’éducation 2011 page 332).

Sur le plan qualitatif, les tableaux ci-dessous montrent que la plupart des enseignants contractuels ont le  niveau BEPC ou le BEPC plus une formation d’instituteur ou d’instituteur adjoint :


Licence et plus

BAC plus 2

BAC  plus 1

BEPC et plus

BEPE

total

17

218

2112

34.561

276

37.184

8

0,58%

5,67%

92,94%

0 ,74%

100%

 

Instituteurs

Instituteurs adjoints

Moniteurs

Autres diplômés d’enseignements

2.207

32.860

89

402

5,93%

88,37%

0,23%

1,08%

(Source annuaire statistique de l’éducation 2011)


Sur le plan pédagogique, le niveau scolaire des élèves du primaire, laisse penser que l’apprentissage ne se passe pas bien. En effet, il n’est pas rare de voir un élève du CM2 qui ne sait pas écrire son nom.

Les contractuels qui sont devenus enseignants non par vocation, mais juste pour trouver un emploi et en attendant une situation meilleure, parmi ceux là beaucoup n’hésitent pas à jeter l’éponge à la première occasion, ce qui entraine un turnover important.

De ce fait la détermination est moindre et la mobilité très importante. Par ailleurs les conditions matérielles de ces enseignants d’un autre genre ne sont pas enviables.

Pour toutes ces raisons, les enseignants contractuels s’investissent en général  très peu dans leur travail et cela affecte la réalisation du programme scolaire, qui très souvent n’est pas épuisé en fin d’année.

Le système d’intégration à la fonction publique des enseignants contractuels souffre d’un manque de transparence  et de critères clairs.

 

La contractualisation a-t-elle des avantages ?

 

Les avantages de la contractualisation sont d’ordre socio-économique :

On reconnait à la contractualisation quelques points forts à savoir :

  §  L’emploi massif de la jeunesse moyennement diplômée, qui contribue à la baise du chômage des jeunes et à la réduction de la pauvreté ;

  §  L’éducation pour le plus grand nombre d’enfants nigériens ;

  §  La baisse du coût de  scolarisation des populations, parce que les contractuels sont moins bien payés que les fonctionnaires ;

  §  On rencontre parmi les contractuels des enseignants pédagogiquement bons.

 

Quelques inconvénients de la contractualisation 

 

Il va de soi que cette alternative qu’est la contractualisation ait des points faibles. On peut citer les éléments suivants entre autres :

Les inconvénients de la contractualisation portent essentiellement sur la qualité de l’enseignement dispensé. En effet, une part importante des contractuels ne sont pas assez qualifiés et n’ont pas la vocation d’enseigner pour certains.

Le choix de la quantité à la place de la qualité n’est jamais un bon choix même lorsque l’on n’a pas les moyens. C’est une politique du chiffre qui peut avoir des conséquences désastreuses à long terme avec une population supposée être instruite mais qui ne l’est pas en réalité.

La non sélectivité du recrutement : on se soucie très peu ou pas du niveau et de l’expérience lors du recrutement.

 

Quelles perspectives ? 

 

La contractualisation n’est acceptable que dans une logique temporaire. C'est-à-dire qu’à terme, les contractuels doivent être titularisés et intégrés au corps des enseignants. La politique d’intégration des contractuels à la Fonction Publique pourrait s’articuler autour des points suivants que  nous proposons ici et qui pourraient être des pistes de solution en apportant un plus au système éducatif :

§  La suppression progressive du contrat d’ici 2 ou 3 ans ;

§  L’intégration immédiate à la Fonction Publique de tous les enseignants contractuels diplômés des ENI (Ecoles Normales d’Instituteurs) ;

§  Le renforcement de la formation initiale au niveau des ENI ;

§  La revalorisation matérielle et sociale du métier d’enseignant.

 

Conclusion

 

Mis en place en 2003, le PDDE dont la contractualisation est le fer de lance a permis de passer d’un taux brut de scolarisation de 41,7% en 2002 à  76%  en 2011 soit un gain de 34,3  points.

L’objectif de réduction de moitié du taux d’analphabétisation est donc atteint car l’on passe de 58,3%  à  24% d’analphabètes entre 2002 et 2012. Mais sur le plan de la qualité de l’enseignement primaire, des efforts restent encore à faire et c’est pour cela que l’Etat du Niger en collaboration avec les acteurs de l’éducation a élaboré une nouvelle stratégie dénommée « Programme Sectoriel de Développement de l’Education et de la Formation »(PSEF) dont la mise en œuvre s’étalera de 2014  à  2020. Pour mener à bien ce programme, le gouvernement s’est engagé à rehausser le budget de l’Education Nationale qui devrait passer de  18% du budget national en 2012  à  25% en 2016. On peut donc fonder l’espoir de voir le système éducatif nigérien  évoluer de façon considérable avec la mise en œuvre du PSEF, surtout si elle ne fait face  à aucun obstacle. En effet, le PSEF s’articule autour de trois programmes distincts : accès et équité à l’éducation ; qualité et pertinence de l’éducation ; gestion et gouvernance du système. Cette nouvelle politique éducative vise l’atteinte des objectifs de développement durable et de la croissance inclusive (Niger 2035) et du PDES (Programme de Développement Economique et Social 2012-2014). Puisse le PSEF aboutir normalement pour un meilleur système éducatif au Niger !

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