Grève des Universités publiques du Niger : entre maladresse syndicale et gestion étatique peu habile de l’enseignement supérieur

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université Niger

Par Abdoul-Aziz Saïdou


Plusieurs choses ont été écrites concernant le motif de la grève générale dans les Universités publiques du Niger, cette semaine. Il y a eu un préavis de grève du syndicat des enseignants-chercheurs  (le SNECS) qui, sans doute par erreur ou maladresse de communication, se limitait à "quémander" que des arriérés de salaires et des primes dans les Universités, au lieu de mentionner de façon concise mais claire les vraies préoccupations qui ont conduit les universitaires nigériens à aller en grève nationale.

 

Les arriérés accumulés par l’Etat nigérien pour les agents des Universités publiques sont certes réels et très nombreux, ce qui est anormal pour un employeur public qui a obligation de payer tous les dus de ses agents. Cette règle est générale et il n’y a pas à stigmatiser le seul corps des enseignants pour cela. Pire, l’accumulation de ces arriérés dénote, que cela soit dit au passage, une rupture d'égalité et de justice de la part de l'Etat nigérien. En effet, nous n’avons connaissance d’aucune information publique faisant état d’arriérés dans les traitements financiers du Président de la République, de ses ministres et des membres de leurs cabinets, malgré les problèmes connus du trésor public. Cela signifie que seule une frange des agents de l’Etat supporte, injustement, les insuffisances de liquidités au trésor. Soit.

 

Il faut cependant préciser qu’au sein des Universités, beaucoup se sont clairement opposés au contenu de ce préavis maladroit du SNECS, qui ramènerait des enseignants-chercheurs à bafouer la noblesse de la science et de la dignité qu’ils incarnent pour quémander quelque arriéré que ce soit. Cela au nom de la conscience, du respect de soi et du devoir de résistance intellectuelle à toute diversion politique qui tenterait, par quelques retards de salaires, à faire oublier les problèmes de fond qui reportent à l’inconnu l’excellence scientifique dans notre enseignement supérieur[1]. Ainsi, quel que serait le niveau d'épreuve financière à laquelle des gouvernants soumettront les Universités, par incompétence de gestion politico-administrative ou par manigance délibérée, ces enseignants dignes gardent les yeux ouverts sur les problèmes essentiels, structurels, de l'enseignement supérieur et de la recherche au Niger.


Ce problème d'arriérés est donc une distraction grossière ; elle cache les vrais problèmes, structurels, des Universités publiques du Niger.

Les vraies revendications, qui à notre sens valent le coup d’un engagement moralement correct et publiquement responsable, portent entre autres sur l’exigence de la mise en place immédiate des structures devant assurer une gestion transparente, participative et administrativement orthodoxe dans les Universités (Conseils d'Universités, Conseils scientifiques, etc.)[2].  On ne peut pas dépasser certains défis d'excellence scientifique avec une chaine d’administration incomplète, une planification stratégique inconsistante et une impossibilité technique dans la configuration actuelle des nouvelles Universités à se conformer aux procédures. Contrairement aux discours déséquilibrés qui tentent de stigmatiser par simplisme les plus hautes hiérarchies des Universités, il faut noter que la nécessite de compléter le dispositif administratif et d’améliorer son fonctionnement concerne toutes les instances universitaires, y compris les facultés, les départements et les différents services d’appui (assurance qualité, gestion du LMD, coordination de la recherche, TICs…). Par exemple, l’incapacité des facultés à assurer une planification et une gestion du calendrier académique est réelle et grave dans certaines Universités ; cela interpelle les doyens concernés, les chefs de département et les coordinateurs de parcours, même si les niveaux de responsabilité sont relatifs.

Il faut déplorer aussi, de la part de ceux qui décident du budget national (gouvernement et assemblée nationale), leur manque de cohérence inexplicable dans l’allocation des subventions aux Universités. Ils ont créé de nouvelles universités, de nouvelles facultés et ont fait monter les effectifs d’étudiants (ce qui est une initiative à la base intéressante) ; mais cela s’est fait en général sans augmenter les subventions des Universités. Pire, le gouvernement est incapable de mettre en place des mécanismes administratifs permettant au trésor national d'assurer l’exécution correcte des faibles budgets théoriquement alloués. Deux fautes graves de gestion.

 

Finalement, l'analyse de la politique exercée dans l'enseignement supérieur montre une politique nationale populiste, qui fait la propagande sur une quantité sans qualité (nombre d’Universités et nombre d’étudiants) ; une politique qui ne se donne aucune exigence d'excellence et aucun défi de qualité, sauf dans le discours politicien ; une approche sombrant dans l’inconscience quant au rôle sociétal que l'Etat nigérien aurait pu clairement exiger des Universités. Déficit de vision, mauvaise appréciation réelle du potentiel que représente une Université dans le développement d’un pays, défaut de pragmatisme pour activer un levier politique qui permettrait aux Universités d’exprimer leurs potentiels.

 

Malgré tout, il faut reconnaitre que les dynamiques des Universités publiques du Niger ne sont pas que médiocrité. La dynamique de mise en place des équipes de recherche dans les jeunes universités est réelle et active, même si elle se fait sans tapage médiatique. Beaucoup de résultats de recherche utiles sont  produits par ces équipes, par leur capacité réelle à travailler en interne, à mobiliser des partenariats et à obtenir des financements autonomes. Beaucoup de responsables universitaires et d’enseignants-chercheurs se sacrifient sans réserve, malgré le cadre national peu favorable, pour réaliser des résultats inédits sur le plan académique et de la recherche. Le rêve et le combat de ces universitaires consciencieux est de faire des Universités publiques du Niger des centres d'excellence scientifique, quelque soient les obstacles à franchir. Leur grande ambition, pour laquelle ils consacrent une partie fastidieuse de leur temps et de leurs efforts, est de faire des étudiants nigériens des étoiles scientifiques et des ouvriers du développement. Insha’ Allah.



[1] Bien sûr, cela se cache mal de plus en plus, certains Universitaires ont aussi une triste relation au gain financier ; mais cet « esclavage du gain mondain » concerne un nombre aujourd’hui inquiétant de cadres intellectuels, d’opérateurs économiques et d’hommes politiques nigériens, en dehors même des Universités. Il n’est donc pas juste de stigmatiser tout le corps des enseignants-chercheurs à cause de la méprise éthique d'une partie de ce corps.

[2] Des rumeurs continuent à courir sur le fait que les nouvelles Universités ne remplissent pas les critères (nombre de facultés ou grades des enseignants par exemple) pour mettre en place ces instances et/ou pour élire les dirigeants, y compris au niveau des facultés. Au vu des lois en vigueur, ces idées deviennent fausses pour au moins une partie des Universités, notamment celles de Maradi et de Zinder qui ont atteint le nombre requis de facultés depuis plus d’un an. L’Université de Maradi a aussi réalisé le minimum nécessaire dans l’avancée en grade magistral de ses enseignants au niveau du CAMES.

Commentaires

M. "Dan Maradi", Mon texte

M. "Dan Maradi", Mon texte n'a pas "fustigé" les enseignants-chercheurs pour avoir comme vous le dites réclamé leurs salaires. Mon propos est beaucoup plus nuancé que cela, relisez-le. Ce que j'ai déploré, c'est que les gens ne soient accrochés qu'aux problèmes financiers exclusivement, au point d'avoir les yeux fermés sur les problèmes les plus structurels. Donc ma reflexion adresse les problèmes de façon plus holistique au lieu de se cantonner sur des conjonctures de salaires. Sinon, à propos des salaires, n'avez-vous pas lu ce passage qui est pourtant clair dans mon texte: "Les arriérés accumulés par l’Etat nigérien pour les agents des Universités publiques sont certes réels et très nombreux, ce qui est anormal pour un employeur public qui a obligation de payer tous les dus de ses agents. Cette règle est générale et il n’y a pas à stigmatiser le seul corps des enseignants pour cela." [et la suite du même paragraphe va plus vloin encore, relisez!]. Voilà, j'ai été clair dès le début, il fallait juste avoir de la nuance dans votre lecture et votre interprétation du texte publié.


Ensuite, c'est malheureux et peu poli d'en venir à qualifier quelqu'un d'usurparteur dans une profession qu'il accomplit pourtant de façon officielle et digne. On retrouve là, exactement, le manque de retenue et de maturité intellectuelle habituel dont font montre certains nigériens derrière des masques pris sur les réseaux sociaux. Vous déplacez ainsi un débat intellectuel, sur des idées et des arguments, vers une attaque lache sur personne individuelle. Nous ne nous abaisserons pas à niveau de complexe de supériorité.

Je trouve que ce monsieur

Je trouve que ce monsieur n'est pas un enseignant chercheur car sa diarrhée verbale ne reflète qu'une faible partie de la réalité que vivent les vrais enseignants chercheurs. Primo, en ce concerne son analyse du contenu du préavis, il est totalement en déphasage de la réalité. Sinon,  comment fustiger quelqu'un qui réclame son droit après prestation ? Je trouve malhonnête et malintentionné d'en vouloir à un corps de réclamer son salaire après avoir exécuté sa tâche. C'est un contrat qui dit que l'on recevoir son salaire après prestation. Ou est le problème ? Surtout que ces vaillants nigeriens n'ont d'autres sources de revenus que ce salaire. Oui bien l'auteur voulait que ces derniers se versent dans ces pratiques qu'on voient ailleurs où les étudiants doivent 'contribuer' pour prétendre à des bonnes notes ? Je suis désolé, ces messieurs méritent notre respect et même notre soutien pour avoir gain de cause, n'en déplaise à cet usurpateur d'enseignant chercheur.  

Secondo, son analyse a porté sur le fonctionnement. Là,  je suis en partie d'accord avec lui mais sans dédouaner les hautes autorités de ces universités qui ont initié et installé des systèmes mafieux et PAC dans la gestion de ces universités. Le détournement,  le favoritisme et le PAC sont les maîtres mots de cette gestion. Malheureusement la majorité des recteurs n'ont jamais même gère de département. Oui,  l'une des solutions serait la mise en place des organes de contrôle et de décision collégiale où toutes les composantes de l'université seront représentées. Que dire de ces doyens nommés ? Je trouve normal qu'ils soient des bénis oui_oui dans la mesure où ils ont été choisis sur des critères très flous mais certainement de leur caractère servile et suiviste. 

Tertio,  oui,  le gouvernement a multiplié les universités dans un but propagandiste. Leur création n'a fait l'objet étude de faisabilité. Doncil est tout à fait évident qu'après que ce ne soit plus une priorité le fait qu'elle fonctionnent bien ou mal. Ce n'est plus le problème du politicien mais plutôt des étudiants, leurs parents et leurs enseignants. La preuve est que le gouvernement prévoit d'envoyer nos meilleurs bacheliers à l'extérieur, tout comme leurs enfants, car sachant très bien que ces universités qu'il a créés ne sont pas viables. C'est un aveu très significatif de comment sont perçues ces universités.  Et dire que ces messieurs qui se battent dans le dénuement total à éduquer le fils du pauvre paysan ne doivent pas réclamer leur droit qui leur permet de faire vivre leurs familles ? Soyons sérieux Mr saidou.  Surtout que tu affirmais que tu n'as jamais eu écho d'un arriéré chez les gouvernants de ce pays ?

Mr Saidou,  mets toi dans la peau de ces enseignants et tu les comprendras car tu donnes l'impression de faire partie de la nébuleuse qui gouverne ce pays comme s'il s'agit d'un pigeonnier. 

Que Dieu sauve le Niger. 

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