Les perspectives de sortie de crise et de gestion de la présente transition politique devraient se construire autour de divers points importants, notamment le retour à la sérénité et à un climat apaisé, les réflexions pour la reconstruction des textes fondamentaux et des institutions du pays, la gestion des antécédents politiques et leur mise en perspective historique... Nous vous proposons un développement autour de ces points.
Les acteurs du coup d’Etat, les membres du CSRD, ont annoncé leur intention d’amorcer rapidement le retour à un ordre constitutionnel normal et d’organiser des élections dans les plus brefs délais. Une des préoccupations des Nigériens et des partenaires du Niger, à l’heure actuelle, c’est de connaître le calendrier de ce retour à la démocratie. La discipline de l’armée nigérienne et son expérience dans la gestion des conflits politiques (expérience à nuancer bien entendu), laissent espérer que le retour du Niger vers un régime démocratique se ferra sans doute.
C’est fort de cet espoir que la communauté internationale s’est contentée de faire une condamnation de principe suite à la prise de pouvoir par les militaires. En effet, Moins de 72h après le renversement du président Tandja, une mission conjointe de l’ONU, de l’Union Africaine et de la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est rendue à Niamey pour discuter avec le nouveau pouvoir nigérien1. Elle s’est dite rassurée sur les promesses faites pour l’évolution de la situation au Niger. Un des responsables du CSRD, le Colonel Djibrilla Hima, a également été reçu à hui clos par la commission de l’UEMOA qui tenait son sommet à Bamako, 48h après le coup d’Etat. Il a réaffirmé l’intention de l’armée pour un retour à l’ordre constitutionnel et a rassuré que l’armée n’entend pas s’éterniser au pouvoir.
A ce jour, nous n’avons aucune raison objective de ne pas faire confiance à ces déclarations d’intention du CSRD. Certains analystes ont certes vite fait de rappeler que bien de putschistes ont fait des déclarations similaires avant de changer de position. Nous espérons, tout en demandant aux Nigériens de rester vigilants sur cette question, que le CSRD ne déviera pas sur ce point (le retour du pouvoir aux civils), et cela pour au moins deux raisons.
Premièrement, le Niger est aujourd’hui fort d’une société civile et d’acteurs politiques très engagés, et le peuple nigérien a dorénavant accumulé un minimum d’expérience du débat politique. Ainsi ce peuple nigérien assez averti, de même que les partenaires extérieurs du Niger (Union Africaine, CEDEAO, UE, USA…), ne cautionnerait plus jamais l’installation pérenne d’un régime d’exception; et nous osons espérer que les responsables du CSRD ont conscience de cette donne.
Deuxièmement, l’expérience historique du Niger en matière de changements de régimes et de périodes d’exception est assez riche d’enseignements. Envisager l’instauration durable d’un nouveau régime d’exception au Niger est une négation de l’Histoire et une des plus grosses erreurs politiques que l’on puisse imaginer à ce jour; nous estimons, également, que les responsables du CSRD ne commettront pas cette erreur.
D’ailleurs, le désaveu (au Niger comme en dehors) et l’effondrement du dernier régime d’exception en date (celui de Tandja avec sa « sixième république ») est certainement une leçon d’humilité pour les ambitieux du pouvoir, et une preuve que plus jamais les Nigériens ni leurs partenaires crédibles (CEDEAO…) n’accepteront la confiscation des acquis démocratiques.
Ainsi, il est tout à fait légitime de voir les choses avec optimisme et de réfléchir prioritairement, à l’heure actuelle, aux perspectives immédiates et à moyen terme d’un retour de la stabilité et d’un départ nouveau pour le développement du Niger.
Nous pensons que le scénario de sortie de crise le plus souhaitable passe par la mise en place d’une constitution issue d’un débat auquel participeraient, dans le cadre d’une Assemblée constituante, des représentations suffisantes de toutes les franges de la population nigérienne: la société civile, les universitaires, les organisations paysannes, la chefferie traditionnelle, les organisations religieuses, les étudiants, les différents corps professionnels et même la diaspora nigérienne....
Cette constitution devra être consensuelle et pallier les carences de la Constitution de la 5ième République au vu de tous les acquis historiques et de l’évolution de la vision sociopolitique au Niger. Elle doit être une refonte véritable des anciens textes et refléter l’originalité de la vision nigérienne.
Il est en outre important d’insister sur la nécessité pour la nouvelle Constitution de reposer sur les aspirations véritables du peuple nigérien dans son ensemble. Cela suppose de donner assez de temps pour l’élaboration du texte et pour le débat nécessaire à son amendement effectif sur la base des propositions des différents acteurs sociaux.
Faire rédiger un texte par un comité restreint d’ « initiés », a huis clos, dans la précipitation, avec des amendements de forme et le présenter rapidement aux urnes pour que les nigériens disent juste « oui » ou « non » (comme en 1999 et en 2009 !) serait décevant car cette période de transition sous le CSRD est une opportunité historique de refonder véritablement la République au Niger. Les Nigériens doivent rester vigilants sur ce point et éviter de semer à nouveau les graines d’un recommencement de l’Histoire.
Le résultat attendu de ce processus est donc une constitution originale avec des principes et des règles de fonctionnement que tous les Nigériens reconnaissent et s’approprient. Un texte ancré dans le cœur de tous les Nigériens qui acceptent de s’y soumettre et de le défendre corps et âme. Un texte qui puisse braver le temps et les majorités politiques le plus longtemps possible avec seulement quelques réaménagements consensuels.
Ensuite, il faudra organiser des élections parfaitement libres, démocratiques et transparentes, avec des observateurs indépendants. Une des dispositions nécessaires pour prévenir toute nouvelle tentative de confiscation du pouvoir par les militaires (à la façon Baré Mainassara et COSIMBA, 1996), c’est de statuer sur l’interdiction aux acteurs du coup d’Etat de se présenter comme candidats à ces élections. Prendre cette mesure à temps, c’est aussi tirer un enseignement de l’histoire du Niger (1996).
Le souci du renouveau et du redécollage pour le développement doit motiver les Nigériens, organisations politiques tout comme les acteurs associatifs, les universitaires, les paysans et tous les citoyens, à prendre une responsabilité et une part plus active dans la vie socio-politique.
C’est le moment plus que jamais d’instaurer un vrai cadre de réflexion pour l’avenir. Sans haine, sans rancune, sans avidité pour le pouvoir. Un élan patriotique, entaché d’abnégation et de responsabilité. Des leaders nouveaux doivent émerger, avec des idées fortes. La jeunesse s’est certes plus ou moins impliquée dans la politique depuis la conférence nationale (à souligner le rôle des étudiants dans l’émergence de la démocratie), mais cette jeunesse est restée depuis lors un peu en marge du leadership politique. Elle doit aujourd’hui s’engager davantage, avec responsabilité, éthique et autonomie. Une grande partie des universitaires et des intellectuels nigériens sont souvent restés observateurs en faisant de la politique « l’affaire des politiciens ». Pourtant, définie comme la gestion des affaires publiques, la politique doit être l’affaire de tous. Cependant, il faudra nuancer les implications. C’est d’une part, oui, l’affaire de ceux qui exercent le pouvoir. Mais par ailleurs, c’est aussi l’affaire de ceux qui, en tant que citoyens, feront des propositions constructives, et demanderont des comptes aux tenants du pouvoir. Un tel engagement national fera sans doute évoluer le débat social et la gouvernance. Son intérêt sera d’autant plus fort que les groupes émergents s’efforceraient de penser et de proposer des idées efficaces.
La nouvelle constitution devrait élargir les possibilités d’implication des citoyens dans le débat social et politique. En ouvrant davantage aux citoyens les cadres de propositions aux gouvernants, en imposant aux gouvernants plus d’obligation de transparence.
Aussi, une question à traiter avec délicatesse est le sort à réserver au président déchu. D’aucuns proposent de le juger, lui et ses compagnons d’infortune dans le Tazarcé. Nous estimons pour notre part que son cas doit être traité dans une logique non pas de rancune et de règlement de compte, mais plutôt dans l’objectif de la réconciliation des Nigériens et du rétablissement de la vérité historique. La gestion de ce dossier doit se faire en évitant toute tension sociale et tout abus. Par exemple, l’idée de faire juger Mamadou Tandja par un tribunal d’exception sous le contrôle de CRSD doit être bannie, car non respectueuse des droits fondamentaux. Mais aussi, imposer une amnistie pure et simple, sans enquête (comme ce fut le cas avec l’assassinat de Baré) serait une deuxième erreur historique au Niger. Car cette amnistie ne sera pas « avalée » par tous les Nigériens, notamment ceux qui ont fait un an d’opposition au Tazarcé. Avancer sans « solder » cette question pourrait ouvrir la porte à des résurgences de conflit juridico-politique autour de celle-ci. Par exemple, aujourd’hui encore, et 10 ans après les faits, l’amnistie aux auteurs du coup d’Etat dans lequel le général Baré a été assassiné resurgit encore dans les débats, et cette amnistie semble loin d’être acceptée par une partie des Nigériens.
Nous proposons donc pour cela une solution plus conciliante et somme toute plus cohérente avec les valeurs démocratiques. C’est la mise en place d’une commission d’enquête mixte et autonome comprenant le Niger et des institutions régionales et/ou internationales crédibles comme la CEDEAO (surtout), l’Union Africaine et les Nations-Unies, qui déjà se sont fortement impliquées dans la gestion de la crise nigérienne. Le fait que la commission soit constituée aussi de personnalités extérieures, sera la garantie de son impartialité et de son objectivité.
Le rôle d’une telle commission sera de :
Si cela est fait de cette façon, le cas Niger fera sans doute école dans toute l’Afrique, et on pourra en tirer des enseignements historiques. Aussi, le fait de faire la lumière et de jouer la carte de la transparence fera que les germes de la rancune (des nombreux Nigériens et Africains opposants au Tazarcé notamment) soit enterrés, sans pour autant tomber dans la condamnation systématique.
D’autres arguments, secondaires, plaident des circonstances atténuantes en la faveur du président déchu, notamment le fait que beaucoup de Nigériens, n’aurait-été ce grave incident de Tazarcé, reconnaissaient en lui un exemple de patriotisme et de droiture (durant les 10 ans de ses mandats légaux).
Si on lui fait crédit de cette considération, il est possible de voir dans son comportement personnel au cours de cette crise plus une erreur –grave certes- et une carence à comprendre et jouer le jeu démocratique qu’une intention délibérée de nuire au Niger.
Afin de sortir grandis et satisfaits de cette transition politique, les Nigériens doivent éviter de tomber dans certains pièges.
Par exemple, certains Nigériens réclament purement et simplement de disqualifier les anciens leaders politiques (c.-à-d. ceux qui ont exercé le pouvoir depuis ou avant la conférence nationale) de la course au pouvoir. Et ce, au motif que ces derniers n’ont pas su apporter des réponses efficaces au problème de développement du Niger.
Quand on sait les frustrations accumulées par les jeunes générations devant l’échec de leurs aînés, cette vision est compréhensible voire justifiable.
Nous ne remettons pas en cause le constat selon lequel l’ancienne classe politique a failli, c’est une réalité. Mais regardons dans le fonds les enjeux de cette idée :
Ainsi, à notre avis, la mesure et la raison voudraient plutôt que l’on envisage un renouvellement de la classe politique graduel, à partir de maintenant, mais qui sera effectif dans le moyen et long terme. Et cela, plutôt par une « disqualification » de fait, sur le terrain de la communication politique et de la campagne électorale. Démocratiquement, sans « coup de force » brusque et sans « tourmentes».
Le résultat de cette approche sera plus enraciné et plus efficace dans le long terme. Il viendra d’un effort de conscientisation des populations sur les échecs des anciennes politiques (corruption, médiocrité des programmes politiques…) et sur les vrais enjeux de développement. Il passera aussi par une éducation véritable des populations en matière électorale et de démocratie, qui prémunirait des anciennes pratiques (achat de vote, vote sur critère de clan, vote sans connaissance des programmes électoraux, élus non redevables de comptes aux électeurs).
Une telle approche, on le voit, sera plus pédagogique et plus durable. Elle implique une mobilisation de la jeunesse, dès maintenant, sur le terrain politique et, surtout, que cette jeunesse soit porteuse de véritables changements de vision, d’éthique et d’innovation politiques.
Moratoire sur les poursuites judiciaires.
Dans la même logique, les poursuites anti-corruption engagées par Tanja doivent être bien démêlées entre ce qui relève de la politique politicienne et ce qui est fondé. Dans tous les cas, il ne revient ni au CSRD ni aux institutions de la transition de traiter ces sujets. Il revient à l’institution judiciaire de faire la part des choses et d’engager les actions qui s’imposent contre tous ceux qui sont coupables de corruption ou de détournement de deniers publics. Nous proposons qu’un moratoire soit mis sur les poursuites durant la transition et que la justice reprenne son cours une fois des institutions démocratiques, crédibles et stables établies.
Durant la période de transition, toute autre source de dérapage doit être évitée pour privilégier une vision consolidée de paix et de développement socio-politique et économique. Nous espérons fort que ces idées recevront l’audition attentive et la compréhension objective de tous les Nigériens, notamment le CSRD, les politiques et tous les acteurs réfléchissant à la sortie de crise. Nous espérons que par l’échange constructif les Nigériens arriveront à sortir de cette crise.