Le fatalisme, un frein au développement du Niger

Le fatalisme, c’est cette attitude de passivité devant les évènements, dont on estime le cours irrésistiblement fixé. L’homme y perd son libre arbitre et l’abandonne au profit d’une puissance supérieure en l’occurrence divine qu’il estime dominer et régir l’univers à sa guise et de manière active et imprévisible.

Vous l’auriez reconnu, il s’agit là d’une attitude largement répandue au Niger. Les Nigériens se sont abandonnés au fatalisme et, cela a une influence pernicieuse et néfaste sur notre vie. Prenons un cas simple pour illustrer cette situation. Vous vous présentez chez un commerçant qui ne fournit aucun effort dans l’accueil et l’orientation de ses clients. Vous vous plaignez du mauvais service et menacez de renoncer à l’achat pour aller voir ailleurs. Une attitude constructive et cohérente voudrait que ce commerçant s’excuse du mauvais service et promette de faire mieux la prochaine fois. Et bien non, notre commerçant s’en prend à vous en vous faisant comprendre que c’est Allah qui amène les clients et que s’il l’avait voulu vous auriez acheté chez lui ! Soyez sûr, ce commerçant ne fournira aucun effort pour s’améliorer et s’adapter aux besoins de ses clients. Et, c’est bien là une part importante de l’explication de la stagnation de beaucoup de commerces au Niger où le gérant y passe toute sa vie sans qu’au bout rien n’ait changé, pas même l’agencement de sa boutique.

Mais d’où nous vient ce fatalisme ? Il faut reconnaître que les aléas de la nature sont particulièrement pesants au Niger et mettent de manière très fréquente les gens en situation d’impuissance. La saison pluvieuse assez courte et souvent capricieuse qui rythme la vie de la majorité de la population. Les sécheresses endémiques qui rendent vain des mois de labeurs. Les maladies multiples qui emportent les enfants sous le regard impuissant des parents. La misère chronique qui semble mettre à néant tous nos efforts pour la combattre. Et, on en passe.

 A ces aléas, se sont ajoutés l’enfermement et l’ignorance. Les Nigériens sortent assez peu et donc ont en général une idée assez vague de tout ce que l’homme est en train et a déjà accompli dans le monde. L’ignorance s’ajoutant, la tentation est grande de se refugier dans une puissance supérieur qui endosserait la responsabilité de notre situation et justifierait notre inaction. Pourquoi changer le cours des choses si la situation découle de la volonté d’une force supérieure ? Contentons-nous de prier cette force supérieure qui seule peut changer ce qu’elle a instauré ! Position somme toute confortable pour une personne dont l’enfermement et l’ignorance empêchent d’envisager le champ du réalisable et dont les échecs face à la nature ont tué toute ambition pour la dompter.

On peut néanmoins rétorquer que nous ne sommes pas les seuls au monde à subir les aléas de la nature et que bien des peuples ont réussi à prendre leur destin en main. C’est que le fatalisme a trouvé au Niger un terreau fertile : l’Islam. Notre intention n’est pas de faire un procès à l’Islam mais, Allah est devenu le prétexte mignon des Nigériens pour se défausser de leurs responsabilités et justifier leur inaction et leur si faible usage de leur capacité à planifier leur avenir et à gérer leur présent. Pour vous en convaincre, quelques unes de nos répliques préférées :

 • Un voyagiste qui vient de surcharger sa HIACE avec 3 personnes en plus du conducteur rien que dans la cabine vous rétorque haut et fort, avec en plus l’assentiment des pauvres voyageurs : « Si Allah le veut, nous arriverons à destination sains et saufs. Tout découle de la volonté d’Allah ! »
• A quelqu’un qui critique ou se plaint de la mauvaise gestion du pays en se demandant pourquoi les gens restent si silencieux, on rétorque :’C’est Allah qui donne le pouvoir, et c’est lui qui le reprend s’il le veut ! »
• Quelqu’un qui n’arrive même pas à assurer 3 repas par jour à sa famille et qui veut prendre une nouvelle épouse ou avoir un autre enfant, et auquel on demande comment il va faire : « C’est Allah qui nourrit et c’est lui qui pourvoit à la subsistance des ses serviteurs’
 • Quelqu’un qui vient d’échouer à son examen et qui n’a pris aucune peine pour analyser les causes de son échec : « C’est Allah qui l’a voulu ainsi ! »

Nous pourrions vous en citer encore et encore, mais vous avez sans nul doute pleins d’exemples vous-mêmes, avec en prime pleins de bouts de versets coraniques lancés çà et là sans aucune analyse.

Les gens inspirés par certains marabouts ont instauré une vraie idéologie du fatalisme et de la passivité. La vertu serait de savoir s’abandonner à la volonté d’Allah (encore faut-il s’entendre sur ce qu’est la volonté d’Allah). La vertu serait de vivre comme un oiseau qui se lève le matin pour chercher sa part de nourriture du jour et recommence le lendemain sans aucun calcul ni planification étant donné qu’Allah a déjà tout prévu. La vertu serait de ressembler à ces saints qui auraient passé toute leur vie à ne rien faire d’autre que prier. La vertu serait de savoir endurer en laissant Allah régler toutes les injustices car Allah veille au grain et qui mieux que lui peut nous faire justice.

Quelles sont alors les conséquences de ce fatalisme sur notre développement ? Nous pensons que le fatalisme et l’idéologie qui s’est développée autour ont constitué un frein au développement de notre pays et surtout, sont une menace pour notre mise en ordre de bataille pour demain. Nous vous avons déjà cité tous ces commerçants convaincus qu’Allah va leur apporter tous les clients dont ils ont besoin et qui attendent toujours ; et tous ces gens qui font des gosses à tout va convaincus qu’Allah va pourvoir à leur subsistance et qui les regardent sombrer faute d’éducation et de moyens. Pire tous ces gens qui ne pensent à rien entreprendre convaincus qu’Allah décide du meilleur pour eux ou qui subissent stoïquement l’injustice convaincus que c’est ainsi la volonté d’Allah. Pas besoin de faire un dessin pour comprendre qu’on ne peut avancer avec une telle mentalité.

Comment alors venir à bout de ce fatalisme? Une action de longue haleine est à envisager au niveau de notre système éducatif pour apprendre aux nigériens à aller au devant de leur avenir et à se réapproprier la gestion de leur présent et du futur. Il ne s’agit pas de nier la force divine ni l’existence de situations face auxquelles l’homme se retrouve dans l’impuissance, mais d’amener les gens à ouvrir les yeux sur tout ce qu’ils peuvent réaliser et améliorer, et surtout de les persuader que leurs actions façonnent leurs conditions de vie d'aujourd'hui et de demain dans ce monde.

Mais, l’impact le plus important à court terme contre ce phénomène ne peut venir que de l’élite musulmane du pays. Cette dernière doit clarifier la position de l’Islam sur ce fatalisme ambiant et toute l’idéologie qui s’est greffée autour. Il doit y avoir un débat profond en son sein suivi d’une large action sensibilisatrice pour couper l’herbe sous les pieds des imposteurs et de ceux qui par ignorance ou par mauvaise compréhension diffusent cette idéologie fataliste. Et, s’il le faut l’Etat doit imposer ce débat.