La quatrième voie ou la citoyenneté des sans-voix

Par Abdoul-Aziz Saïdou

Le processus démocratique est par essence celui de la diversité des opinions et des attitudes. L’analyse de la diversité des comportements citoyens lors du processus actuel au Niger révèle au moins quatre voies.

i) La première voie est celle de ceux qui ont voté en ayant au fonds du cœur une sincérité et une certaine certitude sur le groupe politique auquel ils ont accordé une confiance. Cette voie est respectable, même lorsqu’on ne partage pas, selon le contexte, l’opinion de ceux qui la suivent. Ces citoyens doivent néanmoins garder à l’esprit qu’en accordant leur voix, ils ont aussi le devoir de s’assurer, post élection, que le pouvoir qu’ils ont délégué est utilisé sans abus. Leur responsabilité dans le contrôle citoyen de l’action du gouvernement qu’ils vont élire est plus que jamais engagée. Il y a dans cette catégorie, aussi, ceux qui votent pour des candidats représentant une certaine alternance dans leurs idées et leurs programmes, mais qui, malheureusement, du fait de l’encrage profond de ce qui s’appelle « les grands partis », sont étouffés et n’ont de toutes les façons que très peu de chance de passer.

ii) La deuxième voie est celle de ceux qui accordent leurs voix tout en sachant que ceux pour qui ils votent sont corrompus et/ou incompétents ; ils le font par calcul égoïste (le fameux « retour d’ascenseur »), par esprit de clan ou pour d’autres motivations immorales. Ceux-là n’ont guère accompli, en votant, quelque « devoir citoyen ».Ils ont plutôt accompli un crime public moral, car ils sont complices des tares de gestion politique ; ils érigent un pouvoir à qui ils laissent la liberté d’écraser le peuple pourvu que leurs intérêts à eux sont préservés. C’est eux qui formeront les réseaux de corruption et de détournement de deniers publics autour du pouvoir quel qu’il sera. Ils sont irresponsables et cupides.

iii) La troisième voie est celle des citoyens naïfs ou irresponsables du point de vue des affaires publiques. Ils sont de deux catégories, au moins : ceux qui s’abstiennent de voter par simple indifférence vis-à-vis du destin de la nation et ceux qui ont voté par conformisme. Ils ont en commun leur déficit de responsabilité sociale, l’incapacité à se poser des questions et le déficit de l’esprit critique.

iv) La quatrième voie est celle de l’abstention responsable. Elle est suivie par ceux qui refusent d’accorder leur voix car ils estiment que l’éventail des candidats vient d’un processus tronqué à la base (déficit de démocratie au sein même des partis, suprématie systématique des candidats ayant des soutiens financiers ou des soutiens extérieurs peu honnêtes, déficit d’engagement des jeunes à des postes stratégiques dans les vieux partis sauf ceux parmi les jeunes qui acceptent de fermer les yeux à la corruption des anciens, etc.). Ils estiment que les choix qui s'offrent aux nigériens aujourd’hui ne sont plus des choix car ces élections se font pour légitimer des malins jeux de chaises tournantes au sein d’une classe  peu renouvelée qui s'est imposée au Niger à partir de 1990, devenant une véritable oligarchie-démocratiquement-entretenue : un groupuscule de leaders passant sans vergogne de camps en camps et profitant de leurs positions politiques pour s’assurer un gagne-pain illicite et un statut d’aristocrate! Cette quatrième voie, qui est la voie de ceux qui par responsabilité refusent leurs voix aux urnes, par le vote blanc ou par un boycott clairement revendiqué, reste et demeure une voie de citoyenneté démocratique. Elle contribue à l’éveil des consciences, à la dénonciation des tares d’une alternance de façade et à l’émergence de l’esprit critique pour une réelle alternative politique. Cette voie est aussi, comme la première, une voie respectable.